«La dernière fois où on a vu Kurt»: le Montréalais John Kastner se ...

Le 5 avril 1994, il y a 30 ans, le chanteur et guitariste de Nirvana Kurt Cobain mettait tragiquement fin à ses jours, créant une onde de choc à travers le globe. À l’occasion de ce triste anniversaire, John Kastner, l’un des rares Montréalais à l’avoir côtoyé, a accepté de partager ses souvenirs avec Le Devoir. Joint à son domicile de Los Angeles, M. Kastner revient sur le parcours de Doughboys, le groupe avec lequel il a non seulement partagé la scène avec Nirvana, mais aussi l’arrière-scène.

« La première fois qu’on les a rencontrés, c’était en Europe, à la fin des années 80. On terminait une tournée et on se retrouvait à Londres à la fin. Ce soir-là, Kurt avait détruit tout son équipement sur scène et je me souviens d’avoir aidé leur agent de tournée à remettre les cabinets d’amplificateurs dans leurs étuis… ils étaient amochés. »

Pour John, cette anecdote survenue le 3 décembre 1989 est un événement personnel significatif. Mais pour les aficionados de Nirvana, ce spectacle tient une autre symbolique : trois chansons qui y ont été enregistrées sont immortalisées sur l’album live From the Muddy Banks of the Wishkah. Ce soir-là, Cobain réduit sa guitare en bois d’allumage. C’est la dernière soirée d’une première tournée européenne bancale et éprouvante. Nirvana vient de donner 35 spectacles en autant de soirs dans une dizaine de pays étrangers.

Lors de cette fameuse soirée à la salle Astoria de Londres, la tension accumulée durant ces pénibles semaines culmine en une tempête parfaite ; chaotique, mais libératrice. Kurt donne tout ce qui lui reste d’une énergie nourrie par le mal-être. Certains observateurs disent que c’est à ce moment que Nirvana attire l’attention internationale pour la première fois.

1991, l’explosion du grunge

Doughboys tournait dans des conditions identiques à celles décrites ci-haut avant de connaître le succès au cours de la première moitié des années 90. C’est l’un des rares groupes canadiens à vivre directement l’explosion du grunge, la dernière grande révolution de l’histoire du rock.

« On ne pensait même pas que c’était possible de passer à la télévision », admet John Kastner. « On était tous des jeunes de la génération de KISS du milieu des années 70 qui avaient découvert le punk rock puis le hardcore et qui s’étaient ensuite formés des groupes. Tout ce qu’on souhaitait faire, c’était des spectacles. » Personne ne pouvait prévoir la déflagration atomique qui allait suivre la sortie de Nevermind de Nirvana, en septembre 1991.

En effet, quelques mois à peine avant Nevermind, la réalité est toute autre…

Mars 1991, tempête de neige sur Calgary. Deux groupes de rock alternatif qui sont exactement au même niveau s’apprêtent à donner le premier de quatre spectacles prévus en Alberta et en Colombie-Britannique. « Ils venaient tout juste d’enregistrer Nevermind, mais le disque n’était pas encore sorti. Dave [Grohl] était encore relativement nouveau dans le band », se souvient John.

« La tempête de neige a fait qu’il y a eu à peine 40 personnes au concert du Westward Club. [Les promoteurs] avaient loué des chambres d’hôtel pour les musiciens, mais aussi une autre pour faire le party. Donc, après le spectacle, nous y sommes tous allés pour passer la soirée et nous sommes restés debout jusqu’au lever du soleil. Je me souviens d’avoir demandé à Kurt : « C’est qui le groupe Screaming Trees pour qui on va ouvrir à Vancouver ? » Il m’a répondu que leur chanteur était le meilleur que j’allais entendre de ma vie. C’était Mark Lanegan. »

Effectivement, quelques jours plus tard, Nirvana et Doughboys réchauffent la salle pour Screaming Trees au Commodore de Vancouver. « Kurt a vu notre marchandise, les t-shirts et tout ce qu’on avait à vendre et il m’a dit : « Vous vous prenez pour un boys band avec tout ça, ou quoi ? » Il a refusé de mettre leur table de vente à côté de la nôtre et il a envoyé un gars de leur équipe vendre des t-shirts à l’extérieur de la salle ».

Six mois plus tard, Nirvana est catapulté vers la stratosphère musicale.

Un dernier concert à Montréal en 1993

Doughboys aussi est propulsé par la popularité du grunge. Les Montréalais obtiennent un contrat avec le major A&M records qui mène à la parution de l’album Crush, en 1993. Surfant sur le succès de sa chanson Shine en rotation à MTV, Doughboys part en tournée avec Buzzcocks, pionniers du punk britannique. Ils se tapent une cinquantaine de dates à travers les États-Unis, d’octobre à décembre.

Le 11 novembre, la tournée s’arrête à Boston. « C’est la dernière fois où on a vu Kurt », se souvient John. Nirvana aussi était en tournée dans l’Est nord-américain durant cette période, en pleine promotion de l’album In Utero. Même qu’à peine 10 jours plus tôt, le 2 novembre, Kurt et ses musiciens donnent leur dernier concert à Montréal, à l’Auditorium de Verdun. Leur itinéraire les mène ensuite au Massachusetts et le hasard fait qu’ils sont en pause ce soir-là.

« Ils sont venus à notre show. MTV était là aussi et ils ont eu l’idée d’interviewer tout le monde. Kurt est sorti à l’extérieur de la salle pour discuter avec les fans. Ça a été relaté dans certains livres parce que c’était rare qu’il fasse ça. Ça a créé beaucoup d’émotions. Après le spectacle, nous étions tous dans l’arrière-scène pour l’entrevue avec MTV, mais je me suis tanné et je me suis poussé. Puis Kurt s’est écoeuré et il est parti lui aussi. Il ne restait que Jonathan [Cummins, guitariste de Doughboys], Krist [Novoselic, de Nirvana] et Tony, le bassiste des Buzzcocks. Jonathan et Krist faisaient les cons, ils adoraient faire des niaiseries ensemble », raconte le chanteur. Cette mémorable et malaisante entrevue se trouve sur YouTube.

Une semaine plus tard, le 18 novembre, Nirvana enregistre son désormais légendaire spectacle Unplugged in New York. La tournée des Doughboys et Buzzcocks se termine en décembre. 1994 arrive. Nirvana donne une vingtaine de spectacles au début de l’année.

Jusqu’à son ultime, le 1er mars, à Munich. Ironiquement, le 5 avril 1994, jour de la mort de Kurt Cobain, Nirvana devait être en concert avec Buzzcocks à Londres.

En ce qui concerne Doughboys, un album hommage est en préparation et John Kastner travaille sur une réédition vinyle de Crush. On va réentendre parler d’eux bientôt.

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