Karl Tremblay, la voix des Cowboys Fringants, n'est plus

Une voix familière des Québécois s’est tue. Le chanteur des Cowboys Fringants, Karl Tremblay, est décédé mercredi à l’âge de 47 ans. Il avait annoncé l’été 2022 qu’il combattait un cancer de la prostate, ce qui avait forcé le groupe à annuler plusieurs de leurs engagements ces derniers mois.
« C’est un grand. C’est un géant. Ce qui se passe est archi-triste, car Karl faisait juste du bien au monde », s’est attristé l’ancien batteur du groupe, Marc-André Brazeau, en entrevue au Devoir.
Le public aura pu faire ses adieux au chanteur lors du concert des Cowboys Fringants présenté dans le cadre du dernier Festival d’été de Québec. Un spectacle qui s’était avéré particulièrement émotif, alors que Karl Tremblay était apparu diminué physiquement. Dans un moment empli d’émotion qui passera à l’histoire, la foule avait entonné la chanson Sur mon épaule, ce qui avait visiblement touché le chanteur.
En 25 ans, les Cowboys sont devenus un véritable phénomène de société au Québec. Et Karl Tremblay y était pour beaucoup, avec son charisme et son énergie contagieuse sur scène. Chacun de leurs spectacles rassemblait des hordes d’admirateurs qui connaissent les paroles des chansons par coeur.
Aucun groupe dans l’histoire de la musique au Québec n’a connu tel succès sur une aussi longue période. Les Cowboys Fringants sont — et de loin — les artistes québécois les plus écoutés sur les plateformes d’écoute en continu dans la province. Un véritable exploit pour un groupe qui a toujours savamment évité de jouer le jeu de l’industrie, préférant donner des entrevues à la presse écrite et aux médias locaux plutôt qu’à la télévision.
En 2004, le groupe avait préféré aller jouer aux quilles sur les ondes de TQS le samedi soir, plutôt que de participer à la très populaire émission La fureur à Radio-Canada. Les Cowboys Fringants ne sont jamais apparus à Tout le monde en parle malgré des invitations répétées. Le grand public en connaît finalement très peu sur la vie privée des membres du groupe, qui ont opté pour la discrétion. N’en demeure pas mois que les Québécois étaient attachés à Karl Tremblay.
« Karl Tremblay ne correspondait pas du tout à l’image qu’on se fait du chanteur d’un band. En entrevue, c’était même celui qui parlait le moins. Il était très discret, mais dès qu’il arrivait sur scène, il y avait quelque chose qui se passait. Il entrait en communion avec le public », s’étonne le collaborateur du Devoir Sylvain Cormier, qui a rencontré les Cowboys Fringants à plusieurs reprises durant leur carrière.
Des débuts confidentielsTout a débuté au milieu des années 1990 dans le vestiaire d’une équipe de hockey junior de Repentigny. Karl Tremblay y fait la rencontre de Jean-François Pauzé, qui deviendra le guitariste et le principal auteur-compositeur du groupe. Se joindront à eux le batteur Dominique Lebeau (qui a quitté le groupe en 2007), le bassiste Jérôme Dupras et la violoniste Marie-Annick Lépine, qui était la conjointe de Karl Tremblay et la mère de ses deux jeunes enfants.
L’idée de jouer à la radio et de remplir des arénas ne leur effleure même pas l’esprit au départ. Les premières chansons des Cowboys Fringants sont essentiellement humoristiques et parodient le style country, d’où le nom du groupe.
La première cassette des Cowboys, 12 grandes chansons, est tirée en 1998 à 500 exemplaires, que les membres du groupe partagent essentiellement à leurs proches, sur la Rive-Nord. Le projet se veut surtout artisanal. Mais de fil en aiguille, le quintette fait parler de lui dans le milieu des bars montréalais à cause de l’énergie folle qui se dégage déjà de ses spectacles.
Il faudra attendre l’an 2000 pour entendre un premier vrai opus : Motel Capri, un album autoproduit qui reste fidèle aux origines du groupe avec ses textes décalés et ses sonorités western. Déjà commence à se former autour des Cowboys un noyau d’inconditionnels. Et c’est à la demande de téléspectateurs insistants que MusiquePlus finit à l’époque par jouer en ondes le vidéoclip à très petit budget de la pièce Marcel Galarneau.
Mike Gauthier, qui était animateur sur la chaîne musicale à l’époque, n’aurait pas misé sur la longévité du groupe. Mais il sera rapidement forcé de changer d’avis. « Les Cowboys ont réussi à faire ce que les groupes qui sont leurs héritiers aujourd’hui n’arrivent pas à faire. Ils ont réussi à aller chercher les jeunes dans les cégeps et les universités. Et ces jeunes-là ont continué des les suivre en vieillissant, et ont même commencé à amener leurs enfants aux concerts du groupe. Le charisme de Karl sur scène y est pour beaucoup dans ce succès », note celui qui anime aujourd’hui sur les ondes de la radio Énergie.
Le groupe d’une générationDe leurs débuts, on retiendra aussi les titres Québécois de souche et Le shack à Hector, qui demeure l’une des chansons de prédilection des chansonniers dans les bars partout au Québec. Mais c’est surtout avec l’album Break syndical, en 2002, que la carrière des Cowboys Fringants explose. C’est d’ailleurs à cette époque que Karl Tremblay abandonne son travail dans un club vidéo pour se concentrer exclusivement à la musique.
Ce disque marque un véritable tournant pour le groupe. Exit le country. Les mélodies se rapprochent dès lors du folk et du rock, mais le violon est toujours mis de l’avant, ce qui donne la touche québécoise si caractéristique du son des Cowboys Fringants. Sur cet opus, les textes de Jean-François Pauzé sont aussi plus engagés, plus politiques, comme sur les pièces La manifestation et En berne, l’hymne d’une génération post-référendaire désillusionnée.
Les radios sont d’abord réticentes à jouer les chansons de Karl Tremblay et de ses acolytes, mais elles finiront par se plier à la volonté populaire. La ballade Toune d’automne deviendra le premier tube du groupe, atteignant le sommet des palmarès — non pas à l’automne, mais à l’été 2002. Suivra le succès Mon chum Rémi, une autre ballade qui aborde cette fois de front le délicat sujet du suicide.
En 2004, les Cowboys Fringants feront paraître l’album La Grand-Messe, qui contient une kyrielle de numéros un, comme La reine, Ti-cul et surtout la nostalgique Les étoiles filantes, qui vaudra au groupe son premier Félix pour la chanson populaire de l’année suivante.
Beaucoup plus que des étoiles filantesMalgré les années qui passent, l’intérêt pour les Cowboys Fringants n’a jamais faibli, au contraire. Ils ont remporté six fois le Félix du groupe de l’année, même en 2011, quand ils avaient demandé à leurs admirateurs de ne pas voter pour eux puisqu’ils n’avaient rien fait paraître lors de la dernière année.
Les Français tomberont aussi sous le charme de leur simplicité toute québécoise. Après plusieurs Centre Bell remplis et plus d’un million d’albums vendus dans la francophonie, les Cowboys Fringants ont récidivé en 2019 en sortant une pièce qui deviendra l’un de leurs plus grands succès en carrière : L’Amérique pleure, élue chanson de l’année au Gala de l’ADISQ de l’année suivante.
En entrevue au Devoir en 2021, lors de la sortie du dernier album du groupe, Les nuits de Repentigny, Karl Tremblay avait résumé comme suit ce qui, selon lui, expliquait l’exceptionnelle longévité du groupe : « Si on est proches du vrai monde, c’est peut-être parce qu’on est du vrai monde ! Si tu commences à jouer une game, un, ça s’essouffle, et deux, en demander pis en demander toujours plus, ça finit par être éreintant pour les gens autour de toi. »
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