Sophie Brochu quittera la tête d'Hydro-Québec en avril

Après tout juste trois ans en poste, Sophie Brochu quittera la tête d’Hydro-Québec en avril. La décision de la présidente-directrice générale s’inscrit dans un contexte tendu : sa vision de l’avenir de la société d’État divergeait considérablement de celle entretenue par le gouvernement. Lors de son mandat écourté, elle aura néanmoins eu le temps de positionner Hydro-Québec comme locomotive de la transition énergétique.
« Je suis profondément reconnaissante d’avoir eu la chance d’oeuvrer à l’avancement de notre grande société d’État, aux côtés d’une équipe compétente et engagée », a déclaré mardi matin par voie de communiqué la principale intéressée, arrivée à la tête de l’entreprise publique en avril 2020, en pleine pandémie.
La raison de son départ n’est pas précisée. Selon le communiqué, c’est Mme Brochu qui a annoncé sa décision au conseil d’administration. « Le moment est venu de passer le flambeau », déclare-t-elle, notant qu’Hydro-Québec se trouve aujourd’hui en « bonne posture » et que « la situation financière de l’entreprise est excellente ».
Relations complexes entre Québec et HydroLa relation entre Mme Brochu et le gouvernement du Québec s’est révélée houleuse dans les derniers mois. En octobre, elle avait déclaré ne pas vouloir que la province se transforme en « Dollarama » de l’énergie à bas prix pour les entreprises étrangères. Selon les informations de La Presse publiées à l’époque, Mme Brochu n’aurait pas hésité à quitter Hydro-Québec si la société d’État se trouvait subordonnée aux impératifs de développement économique de la province.
« Tant que le cadre de gouvernance à l’intérieur du gouvernement d’Hydro-Québec est sain et qu’on est capables de faire valoir les grandes prérogatives du besoin du système énergétique, je vais être là, avait déclaré Mme Brochu en octobre au 98,5 FM. Mais si, pour une raison ou pour une autre, je voyais que ce système était à risque, eh bien, j’aurais de sérieuses discussions avec mon actionnaire. »
À la suite de cette controverse, le premier ministre Legault avait créé un nouveau « comité sur l’économie et la transition énergétique » afin de coordonner l’action gouvernementale en la matière. En font partie une brochette de ministres, dont Pierre Fitzgibbon (Économie, Innovation et Énergie), ainsi que Mme Brochu. Celui-ci ne s’est réuni qu’une seule fois, en décembre.
Dans une réunion avec ses employés, mardi après-midi, Mme Brochu a nié que sa relation avec M. Fitzgibbon soient à l’origine de son départ. « Et ce n’est pas parce que ça ne va pas bien avec le gouvernement que j’ai pris cette décision-là », a-t-elle ajouté, selon Radio-Canada.
Avant même l’annonce de la démission de la p.-d.g., l’année à venir s’annonçait complexe pour Hydro-Québec et le gouvernement. Le ministre Fitzgibbon a promis un projet de loi « costaud » pour encadrer les comportements énergivores des clients. Cette loi pourrait bouleverser la structure de tarification de l’entreprise publique.
Mardi avant-midi, le premier ministre du Québec, François Legault, a souligné dans un gazouillis le « plaisir » qu’il a eu à travailler avec Mme Brochu sur de « grands chantiers » comme le contrat de vente d’hydroélectricité avec New York et le développement de la filière éolienne. Dans l’opposition, Québec solidaire juge que le départ de Mme Brochu est « inquiétant » ; le Parti libéral exige de la « transparence » dans le processus de nomination d’un successeur à la tête d’Hydro-Québec.
« Je me doute que l’ingérence du gouvernement a fini par rendre Mme Brochu inconfortable », observe Jean-Pierre Finet, analyste au Regroupement des organismes environnementaux en énergie (ROEE). Un exemple récent de cette ingérence est, selon M. Finet, l’annulation à la dernière minute, en décembre, d’appels offres pour de l’énergie renouvelable, qui doivent laisser leur place à un « nouveau mécanisme » visant le développement du pouvoir éolien.
Les derniers mois ont aussi été le théâtre d’un regain d’intérêt du gouvernement pour la construction de centrales hydroélectriques. Dans une lettre interne envoyée mardi matin aux employés d’Hydro-Québec, obtenue par Le Devoir, Mme Brochu précise qu’en « matière de transition énergétique, les possibilités qui s’offrent aux Québécois et Québécoises sont nombreuses ». « Tout sera une question de choix », y ajoute-t-elle.
Sans faire mention explicitement des grands projets de production qu’Hydro-Québec devra lancer pour augmenter sa capacité, Mme Brochu écrit qu’il faudra travailler « de concert avec les communautés concernées » pour évaluer le potentiel « des sites qui présentent le meilleur potentiel de développement hydroélectrique ».
Dès son arrivée à la tête d’Hydro-Québec, Sophie Brochu a imprimé sa marque. Elle a tout d’abord établi un nouveau plan stratégique pour faire face aux défis de la transition énergétique. Après des années de surplus, ce plan avertissait des risques de manquer d’électricité en période de pointe, lors des grands froids hivernaux, dès 2027.
En parallèle, son équipe a entamé une restructuration majeure de l’organisation pour avoir plus de flexibilité. En 2022, Hydro-Québec a ainsi intégré au sein d’une même entité les trois grandes divisions — distribution, production et transport — qui évoluaient jusqu’alors indépendamment l’une de l’autre. La filiale Hilo doit aussi être partiellement rapatriée.
« C’était une bonne personne pour occuper le poste de p.-d.g. d’Hydro-Québec – pas parfaite, on peut toujours trouver des critiques, mais elle avait établi d’excellentes orientations générales », estime Roger Lanoue, conseiller en énergie et ancien vice-président d’Hydro-Québec. « De son point de vue, miser sur la décarbonation représentait une occasion en or. Les convictions du gouvernement de la CAQ, à ce chapitre, semblent plutôt superficielles. »
Avant de diriger Hydro-Québec, Mme Brochu a travaillé chez Énergir (anciennement Gaz Métro), le principal distributeur gazier au Québec. Elle en a été la grande patronne de 2007 jusqu’à la fin 2019. En 2021, Énergir et Hydro-Québec ont signé un important partenariat au sujet de la biénergie électricité-gaz naturel pour le chauffage.
Le conseil d’administration d’Hydro-Québec pourra recommander des candidats pour le poste de p.-d.g., mais la nomination du prochain titulaire devra faire l’objet d’une décision du Conseil des ministres. Les précédents p.-d.g. d’Hydro-Québec, chacun resté plus longtemps en poste, sont Éric Martel (2015-2020), Thierry Vandal (2005-2015) et André Caillé (1996-2005).
Avec Ulysse Bergeron
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