Le début d'un long chemin de croix pour Trump


Le feu roulant d'enquêtes contre Donald Trump entame de plus en plus sa marque de commerce politique
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Nul ne sait à trop s'attendre de cette journée dite historique. Ce n'est en effet pas tous les jours qu’un ancien président se fait prendre les empreintes digitales et se fait tirer le portrait après avoir pris connaissance d'une trentaine de chefs d'accusations qui pèsent contre lui.
Probablement, quelques militants pro-Trump vocaux de la première heure, les mêmes que l'on voit dans chaque rassemblement, menés par la non moins vocale Marjorie Taylor-Greene, seront bien présents aux abords du palais de justice de Manhattan.
Le soutien, aussi bruyant soit-il, sera perdu non seulement dans une ville profondément démocrate, mais aussi dans la cohue du nombre incommensurable des équipes de médias couvrant l’événement.
Ce n’est en tout cas que le début embryonnaire d’un long chemin de croix judiciaire pour l’ancien président républicain, dont il reste persuadé qu’il se tirera sans égratignures et que le siège dans le bureau ovale lui sera sien à nouveau en janvier 2025.
D’abord, si cette inculpation mène à un procès, ce n’est pas demain la veille qu’il débutera. Au mieux ce sera à la fin de l’année et après une longue sélection de jurés. D’ici là, attendez-vous à ce que les avocats de Trump fassent tout pour ralentir le processus à défaut de réussir à faire tomber tous les chefs d’accusation.

Une poignée de partisans seulement s'étaient déplacés pour soutenir Donald Trump à Manhattan lundi après-midi.
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À moins que la tendance ne soit complètement bouleversée, Trump pourrait voguer sans trop de problèmes vers les primaires républicaines du début de l’année 2024. Et même pourquoi pas vers un couronnement. Car jusqu’ici, aucun candidat, déclaré ou pas, n’est prêt à contester son avance dans les sondages.
Nikki Haley? Une candidate qui n’attire ni grand monde ni grand financement… Mike Pence? Impossible pour lui de critiquer ouvertement Trump… Ron DeSantis? Incapable de se distancier de Trump et de se poser en solution de rechange capable d’attaquer son rival bien en selle, de peur de s’aliéner le mouvement MAGA. Un mouvement qui prend beaucoup de place, même s’il ne représente pas la majorité des républicains, n’en déplaise à l’ancien président.
Jusqu’ici, la formule agressive qu’utilise l’ancien président pour traiter ses rivaux (surtout DeSantis qu’il a presque émasculé politiquement jusqu’ici) et judiciaires (le juge et le procureur de Manhattan dans l’affaire Stormy Daniels) semble porter ses fruits. En tout cas auprès de ses indéfectibles suiveurs : Trump dit avoir amassé 7 millions de dollars grâce à ses fidèles partisans, depuis l’annonce de sa mise en accusation. Il faudra attendre quelques semaines afin de vérifier officiellement ses chiffres.
Mais pour combien de temps encore? Celui que de proches représentants du mouvement évangélique américain ont désigné comme étant l’élu (The Chosen One) pourra-t-il survivre politiquement de façon viable aux multiples enquêtes et poursuites qui se préparent contre lui?

Les partisans de Donald Trump suivent aveuglément l'ancien président, depuis le début mais représentent-ils vraiment la majorité du parti républicain?
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Car ce long chemin de croix sera jalonné de grands défis. Alvin Bragg, le procureur de Manhattan, a beau avoir osé être le premier à poursuivre officiellement Donald Trump, il n’en reste pas moins que sa cause est compliquée à démontrer et moins solide juridiquement que les autres dossiers qui attendent l’ancien locataire de la Maison-Blanche.
D’abord, il y a celui que le procureur général des États-Unis, Merrick Garland, mène par l’entremise de l’avocat spécial Jack Smith qui enquête sur la question de savoir si Donald Trump a conservé de manière inappropriée des documents classifiés dans sa propriété de Mar-a-Lago, en Floride, après avoir quitté ses fonctions en 2021. Et s'il a ensuite tenté de faire obstruction à une enquête fédérale. Rappelons qu’il est illégal de retirer ou de conserver délibérément des documents classifiés.
Mais il y a surtout l’enquête d’un procureur de l'État de Georgie sur les efforts présumés de Donald Trump pour renverser sa défaite électorale de 2020 dans cet État. Le dossier plutôt solide porte en partie sur un appel téléphonique que M. Trump a passé au secrétaire d'État de la Georgie, le républicain Brad Raffensperger, le 2 janvie 2021. On y entend clairement Trump qui demande à Raffensperger de trouver suffisamment de votes pour annuler la défaite électorale du républicain.

Le refus d'accepter le résultat de l'élection de 2020 en Georgie a mené Donald Trump à appeler personnellement le secrétaire d'État pour lui demander qu'il « trouve » plus de 11 mille votes en sa faveur.
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Selon des experts juridiques, Donald Trump pourrait avoir enfreint au moins trois lois électorales de l’État : la conspiration en vue de commettre une fraude électorale, la sollicitation criminelle en vue de commettre une fraude électorale et l'interférence intentionnelle avec l'exercice des fonctions électorales.
Tout cela sans oublier aussi l’enquête de la commission spéciale de la Chambre des représentants sur l'assaut meurtrier du 6 janvier 2021 par des partisans de Trump au Capitole des États-Unis. La dite commission a exhorté le procureur Garland à inculper l’ancien président pour corruption d'une procédure officielle, de complot visant à frauder les États-Unis, de complot visant à faire une fausse déclaration et d'incitation ou d'aide à l'insurrection.
Qu’elles aboutissent ou non à des accusations fermes et d’éventuelles condamnations, la marque de commerce Trump commence à se fissurer davantage face au long réquisitoire qui s’annonce.
Donald Trump a beau dénoncer ce qu’il qualifie d’acharnement et essayer de se présenter comme un homme blanc comme neige, l’homme le plus honorable du monde, comme il s’est défini il y a quelques jours sur son réseau social Truth, cela commence à faire beaucoup dans l’esprit de bien des électeurs. Faire campagne sur le thème de cette victimisation (lors de son rassemblement de Waco au Texas, ses militants portaient la pancarte witch hunt","text":"witch hunt"}}">witch hunt, chasse aux sorcières) a ses limites pour séduire l’électorat.

Faire campagne sur la victimisation a ses limites pour séduire l'électorat américain.
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Pendant que Donald Trump passe son temps à maugréer sur son sort et ses adversaires politiques, Joe Biden, lui, continue son travail de vendeur sur la route. Il mousse ses politiques progressistes, ses dépenses gouvernementales pour l’Américain moyen et rend visite aux sinistrés des tornades dans le sud du pays.
Même si la perspective de voter en faveur de Joe Biden, (jusqu’aux dernières nouvelles, il est toujours supposé se présenter pour un deuxième mandat) n’enchante pas grand monde, ils seront nombreux à réfléchir à deux fois avant de se pincer encore une fois le nez et de voter à la place pour Donald Trump. Joe Biden le sait et reste plutôt coi sur les déboires de celui qu'il a battu en 2020.
Écraser ses adversaires républicains et gagner une investiture est encore dans la mesure du possible pour Donald Trump, mais gagner une élection présidentielle sans convaincre des démocrates déçus, des républicains modérés et surtout les fameux électrons libres que sont les électeurs indépendants est pratiquement impossible.
La fatigue anti-Trump constatée il y a un an semble se creuser davantage… Le parti républicain en est-il conscient? Ou plutôt a-t-il le courage de s’en rendre compte avant qu’il ne soit trop tard?





